Combattre cette tradition tout en respectant l’identité de la femme. Protéger des milliers de petites filles de la lame de rasoir et des suites infectieuses. Katoucha ne veut pas heurter la sensibilité des mouvements féministes africains en faisant de l’excision son cheval de bataille tambours battant. Pour une démarche transparente, son combat est basé sur un dialogue partant de l’affirmation de sa propre identité et d’un respect mutuel. L’excision souvent pratiquée sur les fillettes de 4 à 12 ans, est l’une des pires violations de la Convention relative aux droits de l’enfant. Chaque année, 2 millions de filles sont victimes des mutilations sexuelles dans le monde ; En France, 30 000 filles seraient exposées au risque de l’excision Exiger l’abolition d’une coutume anachronique n’a donc rien de malveillant. Il s’agit tout simplement de reconnaître ici qu’une violence physique ou psychique a lieu au vu et au su de l’humanité sous le couvert de la culture.
Katoucha Niane ancien top model des années 1980, égérie du couturier Yves Saint-Laurent. Victime de l’excision, Katoucha a décidé de s’impliquer dans la lutte contre ces pratiques douloureuses et ancestrales. "Ouvrons le débat sur ce sujet tabou, rompons le silence, donnons-lui un écho international et participons à sa disparition annoncée en divulguant les réalités religieuses, médicales, psychologiques et sociales de cette pratique ancestrales".
Nous disons non à l’excision ! Aujourd’hui, Fatoumata Diallo tourne la page sur toute sa carrière professionnelle. Les temps ont bien changé depuis qu’elle a commencé à pratiquer son métier il y a trente ans ici à Kolda au sud du Sénégal. Pourtant elle ne regrette pas toutes ces années. Elle en est fière : aucune des fillettes qu’elle a excisées en trente ans de métier n’a eu de complications graves suite à l’intervention.
Toute jeune, Fatoumata a subi elle-même l’excision. Elle s’en rappelle comme si c’était hier. Sa tante et sa grande sœur l’ont amenée dans une case et sans qu’on la prévienne, elles ont procédé à l’ablation de son clitoris. A l’époque, on ne se posait même pas la question s’il fallait le faire ou non. Tout le monde y passait. L’opération s’est mal passée et depuis Fatoumata a toujours eu des douleurs en urinant.
Quand elle a choisi de devenir exciseuse, la profession était prestigieuse. Sa tante était exciseuse et lui a transmis son savoir-faire. Fatoumata a fait son choix pour éviter que les jeunes filles du village ne soient laissées à des étrangères et que les choses tournent mal. Elle voulait éviter le plus de douleur possible aux fillettes, mais elle ignorait tout des règles élémentaires d’hygiène et quoi faire en cas de complication. C’est un miracle estime-t-elle que rien de grave ne soit jamais arrivé aux enfants qu’elle a excisés.
Pour Fatoumata exciser des jeunes filles c’était une façon de gagner dignement sa vie, car cette profession procurait une reconnaissance sociale à celles qui la pratiquaient. Elle se voyait comme une purificatrice de jeunes filles avant leur mariage. Cette pureté pouvait amener une promotion sociale pour des jeunes filles pauvres. Comme la plupart des gens de la région, Fatoumata est Poularde. Ce peuple pratique la mutilation des organes génitaux chez les fillettes depuis des lustres. On ignore à quand remonte cette tradition, mais les sages du village affirment que l’Islam prescrit un tel supplice aux femmes. Pourtant il n’en est rien et même certaines communautés chrétiennes en Egypte excisent aussi les fillettes.
La pression sociale Sans qu’on se pose de questions, toutes les fillettes de neuf ans devaient passer sous la lame des femmes comme Fatoumata. La pression sociale venait des femmes entre elles. Une femme qui n’était pas excisée était considérée comme impure et était rejetée de la société. Même si les hommes ne s’en mêlaient pas directement, ils contribuaient eux aussi à cette pression sociale pour qu’on excise les jeunes filles. Ils croyaient au mythe de la pureté des femmes et que l’excision était le symbole de cette pureté avant le mariage.
Mais depuis trente ans les choses ont changé dans le village de Kolda. D’abord la radio est arrivée. Fatoumata se rappelle sa première radio portative sur laquelle elle écoutait des programmes de RFI. « Je comprenais à peine ce qui s’y disait en français. C’était un cours de français et une ouverture sur le monde pour moi » , dit-elle. Certains programmes dénonçaient ces abus sur les femmes et apportaient des témoignages d’autres femmes dans le monde. Les habitants de Kolda ont commencé à prendre conscience que certaines traditions peuvent être à risque.
Après la radio est venue l’éducation. Le fait que les femmes puissent lire et s’informer a modifié leur perception de l’excision. Le mythe de la pureté tombait au fur et à mesure que les femmes du village apprenaient à connaître leurs droits. Certaines mères ont commencé à choisir de ne pas faire exciser leurs enfants. Même s’il était difficile au début de résister à la pression sociale du village, certaines femmes y sont parvenues. Avant, elles ne savaient même pas qu’une femme sur Terre pouvait envisager de vivre toute sa vie sans être excisée. Elles ne connaissaient personne d’autre que des femmes excisées comme elles.
L’éducation à Kolda est arrivée grâce à des ONG comme Tostan. Sa fondatrice Molly Melching explique que Tostan a mis en oeuvre il y a trois ans à Kolda un programme d’éducation et de sensibilisation à la santé et aux droits de la personne. Elle explique que « le projet visait tous les enfants et les femmes du village sans jamais nommer ni pointer du doigt l’excision. Rapidement quand les enfants et les femmes du village ont pris conscience des risques pour la santé, ils ont eux-mêmes réclamé que cesse cette pratique. » Fatoumata Diallo était parmi les premières qui ont été sensibilisées aux droits de la personne et à l’hygiène.
à Kolda, Fatoumata et tout le village ont décidé de dire non à l’excision. Pour marquer l’événement, ils ont organisé une grande fête de village où ils ont invité des femmes de villages voisins, venues du Sénégal et de Guinée où l’excision est aussi très répandue. Toute la journée, les habitants chantent, crient et dansent leur fierté d’abandonner une pratique qu’ils jugent barbare. C’est un passage à la modernité. On espère ainsi que les autres prendront conscience du réel danger de l’excision pour la santé des femmes.
Mais renoncer à une tradition vieille de plusieurs siècles n’est pas une chose facile. Un des problèmes souvent rencontrés par ces femmes est de trouver un autre métier alors que c’était leur seul moyen de subsistance et qu’elles gagnaient bien leur vie en excisant. Fatoumata croit pouvoir réussir à reconvertir bon nombre d’entre elles. « J’ai créé une coopérative agricole et je veux regrouper d’anciennes exciseuses. En faisant de la culture maraîchère, j’espère convaincre d’anciennes exciseuses de déposer leurs couteaux. » Ces exciseuses y verront un autre moyen de gagner dignement leur vie sans devoir risquer celle de jeunes fillettes.