Les sociétés africaines sont globalisantes ; c’est-à-dire qu’elles réunissent dans les maisons le maximum de personnes : le père de famille, ses femmes, ses fils, leurs femmes et leurs enfants etc. Si le chef de famille a aussi des frères, ceux-ci doivent vivre dans la même enceinte avec leur nombreuse suite. La tradition veut que le mariage de chaque fils libère sa mère des contraintes du ménage. Dès qu’elle devient belle-mère, c’est-à-dire quand un de ses fils se marie et reste en famille, la femme ne s’occupe plus que de son mari et de ses petits-enfants. Les menus travaux de son mari, son eau de toilette, ses habits, la gestion de son intimité etc., voilà ce à quoi elle est réduite. C’est alors qu’elle prend sa retraite bien méritée au terme des années de peine et de sacerdoce.
La belle-mère devient, dans le cas normal, responsable de la nouvelle mariée qu’elle se doit d’adopter comme sa propre fille. En retour, celle-ci lui doit un respect sans restriction. En jouissant des prérogatives maternelles pour sa bru, elle doit surtout s’ériger en conseillère infaillible, toujours prête à guider. Dans la société traditionnelle, la belle-mère et sa bru forment un couple inséparable, du fait qu’entre elles demeure une grande intimité. A chaque période de menstrues, la bru est tenue d’abandonner la chambre maritale pour dormir chez sa belle-mère. De même, elle doit abandonner son mari dès les premiers mois de chaque grossesse pour profiter des conseils de la "maman" afin de pouvoir se comporter vis-à-vis de son état. Cette proximité continue jusqu’au terme de la grossesse et, encore plus loin, quand l’enfant aura atteint les deux - trois ans. Mais ce long séjour chez la "maman" est, naturllement, émaillée d’incursions nocturnes chez le mari.
Dans ces sociétés, l’éducation et l’autorité sans faille des beaux-parents d’autre part maintenaient les jeunes mariées sous une permanente tutelle. La soumission était donc de rigueur ; mais les beaux-parents avaient aussi un devoir de protection et de secours. En général, l’approvisionnement en condiments et en savons incombait à la belle-mère. Mais au grand dam des nostalgiques, cette Afrique-là est en train de disparaître. De tels rapports se font de plus en plus rares, d’autant plus que les jeunes couples aspirant à davantage de liberté, "s’arrachent" dès les premières semaines de leur mariage au "carcan familial". Ils s’en vont loin des parents, loin de cette cohabitation forcée dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. En outre, si dans la société traditionnelle le fils était le bras du père, en ce sens que toute sa fortune était celle du père, de nos jours, il n’en est plus de même. Cette soif de liberté a fait naître un nouvel esprit qui porte sur l’expression du moi, de l’autonomie personnelle. Le concept de la responsabilité a littéralement volé en éclats : on est désormais responsable par rapport à soi, à son conjoint et à ses enfants. Les parents sont les géniteurs, non les immuables responsables. Le fils devient autant chef de famille que son père. Cela amène forcément une "révision" des rapports.
Ainsi, hier confidente et incontournable conseillère, la belle-mère pointe aujourd’hui un doigt accusateur sur la bru, laquelle devient une sale usurpatrice qui lui vole son enfant. Si d’aventure le fils n’est pas assez nanti pour entretenir sa famille et ses parents, sa pauvre épouse se fait traiter de tous les noms : c’est elle qui jouit des biens du fils, lesquels n’ont peut-être jamais existé. De là à contrôler jusqu’à ses habits, ses chaussures..., à la regarder prendre du poids etc., les belles-mères ne négligent rien pour l’accabler.
Les parents perdent de vue que les temps ont changé et que cela amène fatalement un changement de comportement même dans les familles les plus soudées. Cependant, leurs appréhensions sont quelque peu fondées dans la mesure où l’éloignement de leurs fils du cercle parental les précipite également dans les bras de leur belle-famille. Ce qui, désormais, inverse en quelque sorte leur élan de générosité en faveur des beaux-parents. Et les jeunes épouses s’y emploient avec tout l’art que cela commande.